Durant les fêtes de fin d’année, j’avais décidé de faire une pause ; pas d’arrêter de travailler, juste de changer de rythme. Une réponse automatique sur ma messagerie annonçait l’interruption de mon activité pour quinze jours. Sans échanges professionnels, je pensais alors consacrer quelques heures à la correction de copies pour ensuite profiter de mon temps libre. En réalité, le 29 décembre, j’étais encore en plein travail et cela n’a pas manqué de faire réagir mon entourage. Traduction : ils m’ont enguirlandée et leurs arguments m’ont permis de faire face à mes incohérences.
« Tu passes beaucoup trop de temps sur chaque copie »
Soucieuse du travail bien fait, voici comme je procède. Je commence par lire une copie dans son ensemble. Je reprends ensuite le devoir pour l’annoter (corrections, conseils, questions, rappels de la méthode, etc.). Je remplis alors une grille d’évaluation construite avec vingt critères, chacun pouvant être noté de 0,25 à 1 point. Une fois tous les exercices évalués, je reviens sur chaque grille pour m’assurer de la justesse de mes estimations (indulgence ou excès de sévérité). Conséquence, il me faut plus de deux journées de travail pour traiter une dizaine de copies. Effectivement, c’est trop long.
« Tes apprentis… Ils s’en moquent royalement de la CGE ! »
J’interviens en BTS pour le module « Culture Générale et Expression » auprès d’un public en alternance. Les épreuves auxquelles je prépare les apprentis sont éloignées de leur réalité professionnelle. Là-dessus, je suis d’accord avec eux. En entreprise, on ne leur demandera jamais de produire une synthèse de documents explorant un thème quasi philosophique. Il ne leur sera pas non plus réclamé une forme d’argumentation s’appuyant sur des références de culture générale.
Pour autant, la CGE fait partie des études supérieures dans lesquelles les apprentis se sont engagés. À défaut d’adhérer au contenu, il me semble qu’ils peuvent fournir un minimum d’efforts. Sans compter qu’avec un coefficient 3 ou 4 selon les BTS, il est intéressant d’aller chercher la meilleure note possible lors de l’examen final.
Mais, mon raisonnement ne tient pas la route, car comme le déclare d’un de mes fils, « tes stagiaires n’en ont rien à foutre de la Culture G ! » Donc au lieu de remuer ciel et terre pour les amener à se sentir concernés, je ferai mieux d’accepter cette évidence et de laisser couler.
« Pour eux, t’es qu’une prof ! Une put*** de prof ! »
J’ai toujours distingué le métier de professeur de celui de formateur indépendant. Ce dernier raisonne en termes de compétences vérifiables en entreprise alors que les profs dispensent un enseignement parfois peu applicable concrètement en milieu professionnel. Je sais, je schématise, mais grosso modo, c’est ainsi que je vois la chose.
En tant que formatrice, j’attends donc des stagiaires un positionnement différent de celui d’un élève qui ingurgite un cours uniquement en vue de le recracher en évaluation. Et là, je me mets le doigt dans l’œil. Bien qu’en études supérieures et en alternance, les apprentis se comportent comme ils l’ont fait durant toute leur scolarité et m’associent à un enseignant. De fait, j’ai en face de moi des personnes aussi peu investies que des collégiens soumis à l’obligation scolaire.
« Tes conseils et toutes tes annotations sur les copies… Ils s’en balancent ! »
C’est la suite logique de ce qui précède. Puisque les apprenants ne sont finalement que des élèves et que je ne suis moi-même qu’une prof, il s’agit d’une relation pédagogique et non d’une collaboration entre adultes.
J’ai beau m’échiner à essayer de former des professionnels à des techniques rédactionnelles pour la réussite de leur examen ; seule la note à l’évaluation importe et encore, juste au moment du rendu des copies. En un battement de cils, ils passent à autre chose, ne retiennent rien de leurs erreurs, ne tiennent compte ni de la correction ni des conseils donnés individuellement et recommencent les mêmes boulettes… quand ils n’en font pas de nouvelles !
« Tu n’es pas payée pour qu’ils réussissent, t’es payé pour leur faire cours »
À plusieurs reprises, j’ai travaillé avec des personnes préparant des titres professionnels. Demandeurs d’emploi, salariés en reconversion ou adultes en insertion (voire en réinsertion), la validation des examens était un véritable enjeu pour eux. Pour les organismes de formation également puisque le taux de réussite aux épreuves avait un impact direct sur les marchés à venir, donc sur leur chiffre d’affaires. Par ricochets, on attendait de moi un investissement permettant au plus grand nombre de réussir.
Cette logique, je l’ai gardée en m’impliquant dans l’apprentissage. Mais niant le fait que dans ce secteur, je suis une enseignante auprès d’adulescents, j’ai oublié ce pour quoi j’étais rémunérée. Or, si je reprends les contrats signés en septembre, il m’est demandé « d’intervenir au niveau BTS ». Que les apprentis obtiennent ou non un résultat satisfaisant à l’examen de CGE ne devrait donc pas être un objectif motivant mes actions.
« Est-ce que tu es payée pour tes corrections ? Non. Alors pourquoi tu y passes autant de temps ? »
Là aussi, je me fourvoie depuis des années en imaginant que « c’est en faisant que l’on apprend ». Si cela est vrai auprès des adultes, c’est une hérésie quand je m’adresse à la majorité des apprentis. Et comme précédemment, si je reprends les termes des contrats signés, je suis sollicitée pour « l’intervention devant les stagiaires et le temps de préparation ». Alors je ne devrais pas m’entêter à créer de nombreuses évaluations qu’il faut ensuite corriger. Ce n’est pas mon job !
« Ça fait des années que tu râles et tu ne changes rien »
C’est le dernier argument avancé par mes proches et l’ancienne coach que je suis ne peut que s’interroger sur le bénéfice secondaire d’une telle attitude. J’ai donc pris le temps d’analyser mon comportement. Je ne partagerai pas ici le résultat de cette introspection, ce serait trop long. Mais je suis arrivée à la conclusion que ma façon de procéder n’était pas suffisamment enrichissante pour être maintenue.
Quelles leçons ai-je tirées de cette remontée de bretelles ?
Premièrement, mes proches ont raison (calmez-vous les gars, vous avez raison… cette fois-ci !)
Deuxièmement, des vérités exprimées par d’autres ont davantage de poids que celles que l’on se répète en boucles ou que l’on ne veut pas admettre.
Troisièmement, le deuxième semestre de l’année universitaire sera le théâtre de mon repositionnement. Au lieu de former, je vais enseigner. Je limiterai les évaluations au strict minimum (juste pour obtenir une moyenne sur un bulletin). Cela engendrera moins de préparation, moins de corrections et du niveau attendu par mes clients et apprentis… Ça va m’en libérer du temps !
Ah l’enseignement, quelle grande question ! J’avoue que même si j’aimerais beaucoup enseigner dans le supérieur, la façon dont on le pratique aujourd’hui, même à très haut niveau, m’interroge toujours. J’ai l’impression qu’il faudrait tout changer, reprendre jusqu’à la philosophie même de la pratique, mais dans le même temps toutes les initiatives sont tuées dans l’œuf, soit par le manque de moyens financiers ou humains, quand elles ont la chance d’être considérées sérieusement. Je pense que toute personne qui s’est retrouvée devant une salle de classe a senti cette impuissance malgré toute sa bonne volonté, on voit tout de suite qu’il y a un problème majeur dans notre façon d’appréhender l’enseignement, que ce soit par les enseignants que par les étudiants.
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« Il faudrait tout changer », peut-être, certainement… Dans tous les cas, comme je ne peux pas faire évoluer les institutions ou les apprenants, ce qui change… c’est moi !
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Et je ne peux que te soutenir dans cette démarche !
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Merci !
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En fait, on ne se rends compte qu’adulte de l’utilité de ce qu’on apprends en cours.
Pourquoi pas une formation possible « à vie »… simplement lorsqu’on en ressent le besoin.
Cela permettrait de ne rien apprendre à l’adolescence, d’avoir la belle vie, de s’amuser avec les copains et de chercher du boulot (pas par envie, mais parce qu’on a besoin d’argent pour faire la fête). On pourrait alors travailler et faire le strict minimum.
Pour évoluer si on le souhaite, on se dirait alors qu’il faut se former et on pourrait choisir ses axes d’apprentissage en fonction de ses besoins, de ses envie.
Cela donnerait probablement plus de valeur au travail et occasionnerait peut être plus de reconnaissance pour ceux qui apportent le la valeur ajoutée et qui « mouillent le maillot ».
Mouais, je vois trop loin et de façon très utopiste? Je ne suis pas sûr non plus qu’on pourrait garantir une économie rentable avec ce raisonnement, mais bon, une chose est sûre : le gout de l’effort a pris un coup dans l’aile !
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À une certaine époque, voler était utopique. C’est parce que certains ont des rêves a priori irréalistes que notre société avance parfois. Quant à l’aspect économique, on peut aussi envisager une société où l’argent ne serait pas au centre du monde. Un truc de dingue où le vivre serait la principale préoccupation. Comme quoi, moi aussi, je m’égare du côté de la douce utopie !
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